Le « Ji-shibai », un théâtre joué par la population locale

« Ji-shibai » (prononcez Ji-shibaï) est un terme générique qui désigne des représentations théâtrales traditionnelles japonaises de type Kabuki, Bunraku, Noh-Kyōgen et Shishi-shibai interprétées par des résidents locaux amateurs qui s’occupent aussi de la préparation, de la mise en scène, des chorégraphies, de la fabrication des costumes et du matériel de scène ainsi que des décors et de leur manipulation, du maquillage des acteurs et actrices jusqu’aux accompagnements musicaux.
Bien qu’elles soient l’oeuvre d’amateurs, les représentations sont authentiques et parfaites, et ne manquent pas de susciter rires et larmes parmi l’audience qui ne se gêne pas pour intervenir opportunément à travers des actions appelées : « Ōmukō »*1 et « Ohineri »*2. Acteurs et spectateurs ne font plus qu’un et le Ji-shibai qui est l’oeuvre de chacun captive nombre de personnes, et fait partie de la culture traditionnelle transmise jusqu’à nos jours.

*1« Ōmukō » … Un membre du public interpelle un acteur au moment crucial d’une scène.
*2« Ohineri » … Des pièces de monnaie enveloppées dans un papier lancées par un spectateur en direction de la scène.

La préfecture de Gifu, une des patries du Ji-shibai !

Le Ji-shibai a de tout temps été florissant dans la préfecture de Gifu. Cette région rurale du centre du Japon continue de proposer des représentations, avec les mêmes chorégraphies, transmises de génération en génération depuis les ères Azuchi-Momoyama (XVIe) et Edo (XVIIe à XIXe) dans des théâtres qui lui sont tout particulièrement consacrés. Il existe même des représentations qui ne sont plus interprétées dans le Kabuki, mais qui le sont toujours dans le Ji-shibai.
La préfecture de Gifu compte diverses associations pour la sauvegarde des arts ancestraux du théâtre dont 32 troupes amateurs dédiées au Ji-shibai, 6 au Ningyo joruri, 1 au Noh Kyōgen et 6 au Shishi-shibai.

Origine du terme « Ji-shibai »

C’est durant l’ère Edo que les paysans ont fait connaissance du « Kyōgen » pour la première fois, une forme comique du théâtre Noh traditionnel et joué pendant ses entractes. Au contraire du Noh, qui consistait principalement en une suite de scènes chantées ou dansées, le Kyōgen enthousiasmait son public avec des dialogues échangés entre les acteurs dans un style dramatique.
Le Kyōgen a permis ainsi aux paysans de voir différentes formes théâtrales, et à partir de la seconde moitié du XVIIe, des expressions contenant le terme "shibai" (pièce de théâtre), comme "shibai wo suru" (jouer une pièce) et "shibai wo miru" (regarder une pièce de théâtre), sont devenues monnaie courante lorsque ces paysans ont commencé à les interpréter par eux-mêmes en amateur.
Ayant pris naissance dans la préfecture de Gifu, avec le Noh-kyōgen comme origine, les pièces de Kabuki, de Bunraku et de Shishi-shibai, lorsqu’elles sont interprétées par la population locale, ont le préfixe «ji-» (local) apposé à leur intitulé et sont collectivement désignés sous le terme "Ji-shibai".

« Ji-Kabuki » dans la préfecture de Gifu

En 1684 (1ère année de l’ère Jokyo), dans le village de Seta, Kani-gun ( actuelle ville de Kani), alors sous le contrôle direct du shogunat Edo, les villageois organisèrent un «Odori-kyōgen», fabriquant eux-mêmes les décors et les accessoires. Bien qu’appelé “Odori-kyōgen", « odori » voulant dire « dansé », il est reconnu comme Ji-kabuki ayant une distribution amateur locale, et il est considéré comme le premier spectacle de Ji-kabuki donné dans la préfecture.
Aujourd'hui, 32 groupes, principalement dans la région de Tōnō, sont des membres actifs du l’Association pour la sauvegarde et la promotion du Ji-Kabuki de Gifu.

« Bunraku » dans la préfecture de Gifu

Le "Bunraku" ou "Ningyō-jōruri" qui est un genre théâtral où les personnages sont interprétés par des marionnettes, a été introduit dans la région de Mino au début de la période Edo, un peu plus tôt ou à peu près à la même époque que le Kabuki. A l’époque, on l’appelait « Ayatsuri » mais dans la région de Motosu-gun (actuelle ville de Motosu), il était connu sous l’appellation rare de « Ningyo ».
De nos jours, l’Association pour la sauvegarde et la promotion du Bunraku / Noh de la préfecture de Gifu est constituée de 6 groupes, dont les membres actifs sont présents dans les localités de Nakatsugawa, de Mizunami, d'Ena, de Motosu et d’Yoro.

« Noh-kyōgen » dans la préfecture de Gifu

Des représentations théâtrales de Noh-kyōgen ont de tout temps été jouées pendant les périodes de rites ou de festivals religieux du sanctuaire Nōgō Hakusan situé dans la ville de Motosu. Le Noh-kyōgen serait une forme ancestrale de kyōgen appelé Sarugaku Noh. Seize familles connues sous le nom de "Sarugakushu" transmettent de génération en génération la tradition du Noh-kyōgen selon les préceptes décrits dans un manuscrit de 1598 (année 3 de l’ère Keicho) dédié au Kyōgen, le plus ancien de la région de Tokaï.
De nos jours, ces familles perpétuent la tradition sous l’égide de l’Association pour la sauvegarde et la promotion du Noh-kyōgen de Nōgō.

« Shishi-shibai » dans la préfecture de Gifu

Le Shishi-shibai, une pièce de style kabuki dans laquelle le personnage principal féminin porte un masque de lion, serait originaire de la région de Mikawa. Plus tard introduit dans les régions de Mino et Hida (Préfectures de Gifu) à la fin du XIXe (Fin Edo, début Meiji), il est plus populairement désigné sous le terme « Shishimaï » pour outrepasser son interdiction.
De nos jours, 6 groupes perpétuent la tradition dans les localités de Nakatsugawa, d’Ena, de Gero et de Ginan-chō d’Hashima-gun sous l’égide de l’Association pour la sauvegarde et la promotion du Shishi-shibai de Gifu.